À l’occasion de la promotion de leur nouvel album I Got Heaven, sorti en mars dernier, le groupe punk et indie rock américain Mannequin Pussy parcourt actuellement les salles européennes. Le groupe donnait mardi 4 juin dernier un concert au Petit Bain, une salle de concert dans un bateau flottant sur les bords de Seine. Nous avons rencontré Marisa Dabise, chanteuse et guitariste du groupe, pour parler musique, esprit rock’n’roll et cochons.

 

Marisa nous accueille avec des bigoudis dans les cheveux, un top rose à carreaux, un grand sourire sur les lèvres malgré la fatigue et une envie d’être au soleil. On s’installe sur la terrasse du bateau. 

 

Comment vas-tu ? C’est votre premier concert à Paris depuis un moment, non ?

Fatiguée (rires). Oui, cela faisait quelques années, mais comme on est arrivé hier soir, on a pu visiter, cela m’a fait plaisir. 

 

D’abord, peux-tu décrire ton groupe en trois mots ?

Agression, sensualité et douceur.

 

Ce sont des mots très opposés les uns aux autres, comment les faites-vous cohabiter ?

Je pense que c’est ainsi que sont les êtres humains, tout simplement. Même s’il est difficile de ressentir quoi que ce soit au sein d’une société capitaliste, dans laquelle nous ne sommes bons qu’à travailler. J’ai le sentiment que les gens ont besoin de se souvenir qu’ils ont le droit de ressentir, de créer des choses et de profiter de la vie d’une belle façon. 

 

Peux-tu expliquer le nom « Mannequin Pussy » ?

Pas vraiment. Mais j’aime le fait qu’en français, cela veuille dire « chatte de mannequin ». En anglais, ça ne réfère pas à une chose en particulier. Cela fait partie de ces expressions qui prennent des sens différents en fonction de ce que les gens veulent comprendre. En anglais, le mot « mannequin » réfère surtout à l’objet en plastique que l’on voit dans les vitrines des magasins, une chose qui n’a pas réellement d’existence, je veux dire qui n’est pas en vie. D’ailleurs, c’est intéressant qu’en français le mot est le même pour les deux : mannequin, veux dire une personne réelle et l’objet dans les vitrines, comme si au fond, c’était la même chose. 

 

Pourquoi utiliser le mot « pussy », qui est un mot très cru, assez clivant même ?

Premièrement, parce que j’aime ce mot, j’aime sa sonorité. Et puis il déclenche de telles réactions chez les gens… Je les trouve intéressantes d’un point de vue culturel. J’ai le sentiment que l’on peut dire beaucoup d’une personne en fonction de sa réaction face à ce mot. Certains se confrontent à beaucoup de honte, une honte qui leur a été enseignée. D’autres, qui sont plus à l’aise avec eux-mêmes et la sexualité en général, sont enjoués à l’écoute de ce mot.

 

C’est un moyen d’interpeller les gens sur leurs propres limites ?

Oui. C’est d’ailleurs l’essence même du rock. Il doit faire réagir les gens, les bousculer.

 

Penses-tu qu’il est encore possible d’être subversif à l’heure du boycott sur les réseaux sociaux ?

Je pense qu’on peut toujours être subversif et faire ce qu’on veut, mais il faut savoir qu’il y aura des conséquences. En vérité, je trouve étrange de vivre dans un monde où les gens veulent être aimé de tout le monde. On n’a plus de cultures alternatives si tout le monde aime les même choses et s’accorde à dire ce qui est de l’art et ce qui ne l’est pas, ce qui est beau ou pas, ce qui est obscène ou non, ce qui est insultant et ce qui est acceptable… Bien sûr, je ne parle pas de racisme, de sexisme, d’homophobie… Ces choses n’ont rien à faire dans le rock’n’roll, je parle de tout le reste. Il y a bien d’autres choses que tu peux questionner et pour lesquels on peut te haïr. Personnellement, je n’ai pas peur d’être détestée, je redoute la violence des gens en revanche.

 

Pochette de l’album I Got heaven

 

Depuis la sortie de votre dernier album Patience, vous n’avez sorti que quelques singles, pourquoi cela ?

Euh… Le COVID ! (rires.) Je n’ai pas beaucoup aimé cette période, j’étais chez moi à ne rien faire sans voir personne. Pour être inspirée, j’ai besoin de sortir, de rencontrer des gens, de vivre des relations, de voir le monde, de voyager, etc. Tout ce que je peux absorber comme une éponge pour ensuite les extraire de moi et les transformer sous différentes formes d’art. Et puis on écrit tous ensemble, alors quand on est séparés rien ne peut se faire… Il y a des artistes qui ont été inspirés par le confinement apparemment, je les emmerde ! (rires.) Et puis ce sont souvent des artistes solos en fait, pour travailler la musique en groupe, il faut se voir…

 

« Certains peuvent penser que notre musique est assez moche, moi, je crois qu’elle est belle. Cela me plaît de pouvoir parler de colère féminine, quand tout ce qu’on nous a appris en tant que femme, c’est de sourire, de glousser, d’être parfaite et dire “oui” et “bien sûr” ».

 

Quelle est ta plus grande source d’inspiration : les gens ou la nature ?

Je pense que c’est la nature. Toutes les formes de beauté. Certains peuvent penser que notre musique est assez moche, moi, je crois qu’elle est belle. Cela me plaît de pouvoir parler de colère féminine, quand tout ce qu’on nous a appris en tant que femme, c’est de sourire, de glousser, d’être parfaite et dire « oui » et « bien sûr ». Toutes ces choses font que les femmes absorbent la haine des autres, leurs conneries et leur violence… Tout ce que l’on peut faire, c’est absorber jusqu’à ce que tout doive ressortir, être expulsé. Je crois que c’est ça l’inspiration : absorber la haine et la redonner sous une belle forme.

 

En parlant de colère féminine, la couverture de votre album fait penser au mythe grec de Circé, la sorcière qui transforme les hommes en cochons, c’est une référence directe ?

Non, pas du tout (rire). Je ne connais pas ce mythe. Qu’est ce c’est ? (elle regarde sur Internet.) Une déesse experte en poisons et drogues, qui transforme ses ennemis et ceux qui l’ont offensé en animaux ? Oh, mais c’est génial, j’adore ! (rires.) La pochette est en fait inspirée d’une blague entre nous avec les autres membres du groupe. Nous parlions souvent de porcs, en évoquant les relations compliquées. Pas seulement le thème habituel des ruptures, mais les relations humaines en général. De même, il existe une relation si violente entre les hommes et les porcs. J’aimais l’idée de cette figure féminine, mi-rassurante, mi-terrifiante, qui a l’air maternelle et qui est en même temps oppressante. Le geste de sa main semble guider les porcs vers un endroit sûr autant que leur indiquer le chemin de l’abattoir. Pour en revenir à Circé, c’est une drôle de coïncidence, car je ne connaissais pas le mythe. Je trouve fascinant que de siècles en siècles, nous reproduisions les mêmes choses. Circé, c’est la rage féminine qui était là avant nous, cela forme une sorte de fil conducteur qui nous relit toutes. C’est à ça que sert l’art.

 

Quelles ont été les inspirations pour le clip de I Got Heaven, pourquoi cette esthétique ?

Je savais juste que je voulais une femme nue, sorte d’entité fantomatique qui hanterait les habitants d’une petite ville. J’avais juste en tête une image de moi avec des cheveux très longs courant partout à moitié nue ! (rires.) Le décor très pastoral, champêtre faisait sens, car il est très américain, je crois. L’aspect provincial rend le décor intemporel. L’histoire pourrait se passer aujourd’hui, comme il y a des milliers d’années. Au fond, le visage des campagnes a peu changé au fil du temps.

 

 

Votre style musical est entre le rock, le punk et la pop. Quand vous prenez une nouvelle direction musicale, est-ce un choix réfléchi en amont ou est ce que cela se fait sur l’impulsion du moment ?

On compose vraiment au fil des envies. Cela serait vraiment ennuyant de devoir composer ce que les gens attendent de nous. Nous sommes les artistes, personne n’a le droit de dire ce que nous devons faire, à quoi doit ressembler notre musique. Justement, c’est assez excitant, car chaque jour, on se réveille et on ne sait pas ce qu’on va faire.

 

En parlant de liberté artistique, vous avez eu un désaccord avec votre précédent label. Cela rappelle Taylor Swift et sa propre bataille contre un label pour protéger ses droits d’artiste. As-tu l’impression que les choses changent, que les artistes, notamment féminines, ont plus de pouvoir qu’avant dans l’industrie musicale ?

Je ne sais si les dynamiques de pouvoir ont vraiment changées, en tout cas, il me semble que le public est bien plus au courant et alerte sur ces sujets-là. Je pense que nous vivons dans un monde qui remet en question les principes du passé sur tous les aspects de la société, d’un point de vue religieux, politique et au sujet des grandes industries. L’industrie musicale est particulièrement vicieuse, elle exploite les artistes de tous les moyens possibles. D’une manière générale, cette industrie fonctionne avec des codes complètement archaïques qui étaient acceptés il y a 50 ans, mais ne font plus du tout sens de nos jours. Non pas que c’était correct à l’époque, mais nous étions supposés nous résigner et accepter les choses telles qu’elles étaient. À l’heure actuelle, je trouve très satisfaisant d’être une femme de pouvoir dans l’industrie musicale ! (rires.)

 

Au-delà du soutien des fans, qu’est ce qui pourrait faire changer les rapports de pouvoirs dans l’industrie musicale ?

Ce qui apporterait un changement ça serait qu’il y ait davantage de femmes travaillant dans l’industrie, on sent tout de suite la différence. Les femmes n’expriment pas leur force et leurs compétences de la même manière que les hommes. Je crois qu’il y a une telle différence de conceptions de la force. Les personnes masculines interprètent la force comme une forme de brutalité, de violence, par laquelle celle-ci est exprimée. Tandis que les personnes féminines voient la force dans l’expression de la compassion, de la compréhension et la capacité à rassembler les gens.

 

I Got Heaven disponible via Epitaph

 

Texte Anouk Ait Ouadda